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Découvrez l'histoire d'Echenay, petit village de Haute-Marne !

Ce blog retrace la petite et la grande histoire d'Echenay Haute-Marne sous forme de petits articles, au fil de mes recherches et découvertes généalogiques.

DEIL COUVAL, ENFANT ET HOMME "PERDU" - D'ECHENAY AU BAGNE DES ÎLES DU SALUT - 1889

Publié le 3 Janvier 2023 par Petite et Grande Histoire d'Echenay in Ceux d'Echenay...

Deil (prénom usuel) Jean Baptiste Henry COUVAL nait le 17 janvier 1860 à St Nabord, petit village proche de Remiremont (88).

Il est le fils du couple formé par Jean Baptiste Couval et Marie Joséphine Aubry qui se sont mariés le 20 janvier 1858 au même village dont il est le premier enfant vivant (préalablement, naissance d'un enfant sans vie le 27 janvier 1859).

L’année 1861 verra la naissance de son frère Auguste Gaston (°4 octobre 1861 / +31 août 1894 à Cornimont (88)) puis en 1863, la venue de jumeaux, Constantin Huberteau et Séraphin Eugène (11 avril). Hélas, leur naissance au monde entraine le décès de leur mère 4 jours plus tard, bientôt suivi de leur propre mort le 21 avril pour Constantin et le 27 pour Séraphin.

Il est très probable que ces tristes événements influeront sur l’avenir de Deil.

Il a 15 ans en 1875 quand je le retrouve (sans doute en fugue ou livré à lui-même) à Vitry le François (51) où il est arrêté par les forces de l’ordre pour vagabondage et condamné à être placé à la maison de correction de St Urbain (52) jusqu’à sa majorité. Il s’agit d’une de ces colonies agricoles créées depuis quelques décennies où l’on se donne pour mission principale de « redresser » les jeunes à la dérive ou en petite délinquance par le travail, tout en leur donnant un enseignement scolaire de base et, accessoirement, de gagner quelques sous grâce à eux.

Quand il arrive à St Urbain, cette colonie agricole pénitentiaire privée est toute récente puisque créée en 1873. Il y rejoint une soixantaine de gamins, placés là eux aussi à des fins de « correction » jusqu’à leur 20 ans…

Quelques années s’écoulent et en Octobre 1878, suite au décret du 28 juin du Ministre de l'intérieur et avec l’accord de la direction de la Colonie, Deil s’engage à la mairie de Chaumont au 1er régiment d’infanterie de Marine où il arrive le 1er octobre (à cette date, son père est noté « disparu » sur sa fiche matricule !).

C'est donc sous le patronage de la "Société de protection des engagés volontaires élevés sous la tutelle administrative" formée cette année là "dans le but d'encourager les jeunes gens détenus ayant atteint l'âge de 18 ans qui se seront montrés dignes d'aide et de protection par leur bonne conduite, leur assiduité au travail et leur progrès à l'école" que Deil quitte la colonie agricole. Une chance ?... Sans doute car il n'est pas si facile d'intégrer ce corps d'élite soucieux de la qualité de son recrutement. Assoiffé de liberté, c’est pour lui l’assurance « de voir du pays » et de fuir l'univers quasi carcéral qui fut le sien ! Les débuts sont prometteurs, il part pour Saïgon (Vietnam), est promu caporal le 12 décembre 1879 mais son tempérament reste inconstant.

Comme le dit sa fiche matricule, ses «habitudes d’intempérance, sa mauvaise manière de servir et en dernier lieu, le fait de s’être enivré en service avec des hommes de corvée qu’il commandait» lui valent d’être cassé de son grade. Peu importe sans doute pour lui, il fera quand même 2 campagnes navales, une sur le navire « l’Annamite » lancé en 1876 (en mai - juin 1879), l’autre sur « Le Tonkin » lancé en 1878 (en mai juin 1881), cela entrecoupé d’un séjour en Cochinchine.

Libéré de son engagement militaire en 1883, le blond aux yeux bleus d’1 mètre 66 rentre en France avec des souvenirs et une ancre de marine tatouée sur le bras gauche. En janvier 1885, il déclare sa résidence à l’administration militaire à Echenay (52), donc non loin de St Urbain où il a passé son adolescence.

DEIL COUVAL, ENFANT ET HOMME "PERDU" - D'ECHENAY AU BAGNE DES ÎLES DU SALUT - 1889

Poursuivi par son besoin de voyage ou son inconstance, il quitte Echenay l’année suivante, part en direction de la Normandie, pose son sac à Colombière (Calvados) où il déclare encore sa résidence à l’armée en Aout 86 (preuve qu’il ne se cache pas !) mais, rattrapé encore une fois par son mode de vie itinérant, est condamné le 20 mars 1886 pour vagabondage et mendicité en réunion par le tribunal de Caen à un mois de prison.  A sa sortie de prison, peut-être un peu perdu, ne sachant où aller, il revient en Haute-Marne, ce qui lui sera fatal ! Début de l’engrenage….

Audience du jeudi matin 16 décembre 1886 – Cour d’Assises de Haute-Marne

« Tentative de vol qualifié commise à Saint-Urbain, au préjudice de M. Pasquier, ingénieur à Eurville.

L’accusé est un homme jeune encore, âgé de 26 ans, qui, jusqu’à sa vingtième année, a été enfermé dans une maison de correction. Il a, en outre, subi plus tard une condamnation à un mois de prison. Pendant son service militaire, il n’a pas eu une très bonne conduite. Il a été caporal, puis cassé de son grade (l’administration a bonne mémoire et ne pardonne rien !).

Par contre, le maire de sa commune navale et deux ou trois personnes chez lesquelles il a travaillé donnent des renseignements favorables à Couval.

Voici l’acte d'accusation dressé contre Couval par le ministère public : Contre Couval Deil Jean Baptiste Henry, âgé de 26 ans, né à Saint-Nabord, le 17 janvier 1860, il résulte de la procédure les faits suivants :

L’accusé Couval a été condamné en 1875 pour vagabondage, alors qu’il n’avait que 15 ans, à être détenu dans une maison de correction. A sa libération il fut incorporé dans l’infanterie de marine ; nommé bientôt caporal, il fut cassé de son grade pour inconduite.

Après avoir servi aux colonies, il est revenu en France où il a recommencé sa vie errante.

Au commencement du mois de novembre dernier, il vint à Saint-Urbain où il a pu constater immédiatement que le pénitencier dans lequel il avait été enfermé pendant cinq années se trouvait inhabité. Depuis six mois en effet la colonie pénitentiaire n’existe plus.

Les bâtiments se composent d’un chalet qui servait d’habitation au directeur et de plusieurs corps de logis destinés aux colons sont abandonnés. Le chalet, qui est entouré de bosquets et d’arbres, est éloigné de soixante mètres environ de la route de Joinville à Saint-Urbain. Le tout appartient à MM. Barotte et Henrion, de Joinville. Des objets mobiliers garnissent encore cette habitation et sont la propriété de M. Pasquier, fils de l'ancien directeur.

Dans la nuit du 2 au 3 novembre dernier, vers huit heures du soir, Couval, armé d’un crochet de fer, fracturait la porte d’entrée de la cave du chalet en forçant la targette et en faisant sauter un morceau du couvre-joint. Puis, par un escalier intérieur montant dans la salle à manger, il allumait une bougie et descendait à la cave chercher une bouteille de vin qu’il buvait. Il visitait ensuite les chambres du premier étage : d’un coup de pied, il enfonçait le panneau d’une porte fermée à clé qui l’arrêtait un instant. Il cherchait dans les placards et dans les meubles sans y trouver d’objets ayant quelque valeur. Il choisissait néanmoins trois chemises d’homme, trois pantalons, deux paires de bas, deux bonnets et un gilet, qu’il plaçait dans un petit sac en toile rouge et blanche, avec lequel il revenait enfin dans la salle à manger.

Pendant ce temps, un sieur Quinet, cultivateur à Saint-Urbain, qui passait sur la route, vers dix heures du soir, ayant aperçu la lueur de la bougie, était allé prévenir le sieur Ménetret, chargé de la surveillance des bâtiments de l’ancienne colonie. Quinet et Ménetret revinrent en compagnie d’un sieur Frossard, et tous trois entrevirent l’ombre d’un individu qui allait et venait dans la salle à manger.

Tandis que Ménetret courait requérir l'aide du garde champêtre, Quinet et Frossard, jugeant que l’individu dont ils épiaient les démarches descendait à la cave, se portèrent derrière la porte, et Frossard saisit Couval au moment où il franchissait le seuil.

L’inculpé a déclaré qu’il avait eu un besoin à satisfaire, et que, pour cette raison, il était sorti du chalet, mais avec l’intention d’y rentrer. Il prétend qu’il avait seulement l’intention de se procurer un abri pour la nuit et chercher quelques aliments qu’il supposait abandonnés ; mais, d’une part, il était facile de s’abriter sous d’autres bâtiments longeant la route et ne fermant pas à clé ; d’autre part, le paquet qu’il avait préparé prouve suffisamment qu’il voulait ajouter de nouveaux vols à celui de la bouteille de vin.

En conséquence, Couval Deil (Jean-Baptiste-Henri) est accusé :

  1. D’avoir à Saint-Urbain, arrondissement de Wassy, dans la nuit du 2 au 3 novembre 1886, soustrait frauduleusement une bouteille de vin au préjudice du sieur Lucien Pasquier, ingénieur, demeurant à Eurville ; avec cette circonstance que ce vol a été commis : 1° la nuit ; 2° avec effraction extérieure dans un édifice : 3° dans une maison habitée et servant à l’habitation ;
  2. D’avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, tenté de soustraire frauduleusement du linge et des vêtements au préjudice du sieur Pasquier, laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution, n’a manqué son effet ou n’a été suspendue que par ces circonstances indépendantes de la volonté de son auteur; avec ces circonstances que cette tentative a été commise : 1° la nuit; 2° avec effraction extérieure dans un édifice ; 3° avec effraction intérieure dans un édifice; 4° dans une maison habitée ou servant à l’habitation. (Faits prévus et punis par les articles 2379, 381, 384, 385 du Code pénal)

L’interrogatoire :

M. le président : Vous vous êtes rendu à l’ancien pénitencier de Saint-Urbain, où vous aviez été détenu, et qui est maintenant changé de destination, inhabité, mais où il reste encore différents objets mobiliers et autres.

R : Oui, monsieur le président, je suis entré dans la cour vers une heure du soir, et je me suis dirigé vers le chalet. Ne sachant pas la maison inhabitée, j’avais l’intention, souffrant de la faim, de demander un abri et à manger. Voyant qu’il n’y avait personne je me suis reposé dans la cour. Puis, la faim me tiraillant toujours, j’ai pris la résolution de pénétrer dans le chalet et de me procurer moi-même ce dont j’avais besoin. J’ai forcé la porte de la cave avec une « marque » en fer, et, de là, j’ai fini par arriver dans la salle à manger. Ayant pris une bougie, je suis allé chercher une bouteille à la cave, mais je l’ai à peine entamée.

D : Vous avez visité ensuite les placards.

R : Ils étaient tous ouverts, et je cherchais des aliments. J’ai découvert les dossiers des anciens détenus. Parmi eux se trouvait le mien que j’ai examiné.

D. Vous êtes monté dans les chambres à l’étage supérieur, et avez enfoncé une porte, la seule qui fut fermée à clef.

R. Oui, monsieur le président, je suis entré dans cette chambre, y ai jeté un coup d’œil et suis revenu dans la salle à manger. Puis j’ai ramassé divers objets d’habillements assez mauvais (chemises, pantalons), je les ai réunis et placés sur une chaise. Alors je suis redescendu pour satisfaire un besoin et reprendre mes chaussures que j’avais laissées dans la cour. C’est alors que j’ai été arrêté.

Au cours de l’interrogatoire, M. le président a eu l’occasion de dire à l’accusé que ses explications n’avaient pas « le sens commun ».

L’accusé, interrogé à nouveau, dit que les vêtements qu’il a réunis étaient destinés à lui servir d’oreiller et qu’il n’avait pas l’intention de s’en emparer. Il déclare que s’il a enfoncé la porte de la chambre, c’est toujours poussé par le besoin et pour chercher des aliments. Il a respecté la pendule et les candélabres. S’il avait voulu réellement les emporter, il aurait descendu ces objets dans la salle à manger.

L’accusé, dont le crime, en somme, n’est pas énorme et ne paraît pas l’être, est loin d’être inintelligent. Il embarrasse plusieurs fois M. le président par ses réponses précises et empreintes d’une certaine franchise.

Les témoins :

Ulysse Melletret, 33 ans, cultivateur à St-Urbain, gardien de la propriété, raconte les faits relatés dans l’acte d’accusation.

Quinet, Frossard Alfred, Delignon, maire, Pasquier et Mourot, garde champêtre, font des dépositions qui n’ajoutent rien à ce qui a été rapporté dans l’acte d’accusation.

Cependant le garde champêtre déclare que l’accusé lui a dit qu’il avait préparé le petit paquet de vêlements trouvé par les témoins avec l’intention de l’emporter.

Après le réquisitoire de M. le substitut du procureur de la République et la plaidoirie de Me Pelthier, les débats sont déclarés clos.

Le jury revient bientôt avec un verdict de culpabilité comportant admission de circonstances atténuantes. En conséquence, Couval est condamné à deux années d’emprisonnement. » Source : Journal Le Petit Champenois – 18 décembre 1886

Libéré, il revient à Echenay. Là encore, peut-être ne sait-il pas où aller ! Et c’est là que le piège se refermera définitivement sur lui quelques années plus tard !

Journal L'Espérance - Courrier de Nancy - 6 avril 1889

Journal L'Espérance - Courrier de Nancy - 6 avril 1889

3 ans plus tard...

La cour d’assises de la Meuse le condamne le 2 avril 1889 à 10 ans de travaux forcés accompagné de 10 ans d’interdiction de séjour en métropole pour vol qualifié et faux en écriture. Son pourvoi sera rejeté (il est considéré comme multirécidiviste, même si les faits prêtent à sourire aujourd’hui !) et il part vers la Guyane sur le transporteur « Ville de St Nazaire » où il arrive le 4 août 1889.

Destination précise ? Les Iles du Salut, celles dont on ne se s’évade pas, où l’isolement (14 kms de la terre ferme), les courants violents et les requins servent de geôliers en plus des matons de la prison… Peu importe les remises de peine qu’il obtiendra en 96 et 97, de toute façon, il ne peut pas revenir en France...

Il décédera le 9 août 1902 sans revoir Echenay, et sans que je cherche à savoir où ! Quelle importance ?... Il était de toute façon perdu !

Sources :

AD 88

Anom (bagnard)

Limedia Kiosque

Criminocorpus (Colonie de St Urbain)

Gallica

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