Ce lundi 2 mai 1791, il y a un attroupement inhabituel à l’entrée du village d’Echenay, sur le petit chemin venant de Joinville et de Pancey.
Un détachement local de la Garde Nationale est venu attendre Joseph Jeanson, le nouveau curé élu suite à la Constitution Civile du Clergé en remplacement de Charles Antoine Millière, curé en titre de la paroisse mais qui a refusé de prêter le serment civique et a donc été destitué.
Le petit détachement patiente un peu à l’écart du village, au lieu-dit la « Décharge de l’étang du fourneau d’Echenay » (aujourd’hui face à l’école inter-communale), accompagné des officiers municipaux.
Vers 3 heures de relevée (soit 15 heures), le Sieur Jeanson se présente et, « à son aspect », le petit groupe le complimente. Puis tous se remettent en route vers le village distant de quelques centaines de mètres…
Au niveau des premières maisons du village, la foule villageoise l’attend et se met à hurler :
« Voici un scélérat qui arrive, un homme sans pouvoir, il faut lui arracher la figure et le tuer à coup de fléaux et de fourches à foin ! ». On le traite également « d’intrus » ce qui dans le vocabulaire révolutionnaire signifiait prêtre jureur et de « perfides insinuations dont on devine bien la source (?) » sont lancées contre lui…
Comment en était-on arrivé là ?...
A la fin de l’année 1789, l’Assemblée Constituante avait commencée à travailler sur un projet ayant pour but de réformer le Clergé, de lui donner une certaine autonomie par rapport au Pape et surtout de le soumettre au gouvernement. En Décembre 1790, il est proposé de soumettre les ecclésiastiques à prêter serment à la Constitution Civile du Clergé et le décret est voté.
Le serment était le suivant : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m'est confiée, d'être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »
Mais on ne change pas un millénaire et demi de traditions religieuses par décret et le projet rencontre pas mal de réticences sur le terrain, aussi bien du côté des religieux concernés que de la population très attachée la plupart du temps à son curé. Réformer la société, certes, mais toucher au « pasteur » local, non !...
Bref, c’est dans cette ambiance tendue que Jeanson traverse le village en direction de sa cure sous les huées et les menaces des villageois mais sous l’escorte armée de la Garde Nationale.
Arrivé non sans mal à la « maison curiale », il demande à y être introduit et à en prendre possession. Devant cette prise de fonction symbolique, la petite foule villageoise prend rage et agresse les Gardes Nationaux.
François Boucher le Major, François Cordier qui portait le drapeau et Etienne et Jean Cordier, membres de la municipalité sont copieusement bastonnés et grièvement blessés. Le drapeau est arraché puis déchiré. Voyant la tournure prise par les événements, les autres gardes préfèrent baisser leurs armes. Après tout, ce sont des gars du pays !...
Jeanson, « témoin de tout ce désastre », demande alors au maire et au procureur de la commune de venir le reconnaitre comme curé constitutionnellement élu et de le faire « reconnaître comme tel ». Devant le silence du maire, Nicolas Vaillant, procureur de la commune, qui avait délaissé sa fonction « pour se mêler aux révoltés » déclare « à haute et intelligible voix qu’il ne reconnait pas et ne pourra pas reconnaître le nouveau curé et que Millière (l’ancien curé, d’ailleurs présent dans la foule, NDR) est le véritable et seul prêtre d’Echenay ».
En dernier recours et en désespoir de cause, Jeanson exhiba alors son procès-verbal d’élection et de nomination que Nicolas Vaillant lut et enfin « l’émeute s’apaisa sans cependant que l’attroupement se soit retiré car ce n’est qu’à 9 heures du soir qu’il a été entièrement dissipé ».
On imagine assez bien la première nuit du curé Janson dans sa cure d’Echenay !...
Pas un mot dans le procès-verbal de la position et du rôle du châtelain d’Echenay, Charles-Jean de Rarécourt de La Vallée de Pimodan, dans cet épisode frondeur. Pourtant, lui aussi savait faire preuve de caractère !...
Un jour pas si lointain où son château d’Echenay avait été envahi par une horde de villageois venus réclamer avec leur accent local « les d’oits de l’homme », il avait rétorqué au porte-parole :
« Vous voulez les d’oits de l’homme ??... Les voilà ! » en lui administrant une superbe claque…. (Anecdote citée dans l’ouvrage « Simples souvenirs » par le Comte de Pimodan – chez Plon 1908). Mais laissons là l’anecdote.
Mais qui étaient les principaux protagonistes de cette histoire ?
Charles Antoine Millière, « gradué » (donc ayant suivi de hautes études théologiques à l’université) était né le 19 aout 1762 à Joinville (52), fils de Jean Charles Millière et de Marguerite Paillette. Ex chapelain de Vignory (52), il est qualifié de « maîtres es-arts » par l’abbé Roussel.
Suivant ce dernier (voir sources), il fut réfractaire en 1791, puis fait prisonnier et enfin déporté. Une autre source (voir en fin d’article) le cite comme « jureur avec restriction » ce qui pourrait expliquer le fait qu’Il revint dans la région du Vallage après la révolution. On le retrouve en effet curé de Joinville (52) de 1818 à 1832, année où il décède le 1 septembre en son domicile Joinvillois (parfois également nommé « curé doyen de Joinville »).
Joseph Jeanson, « notre » prêtre jureur, semble être né à Rogéville (54) diocèse de Toul, en 1747. Il ne fut curé d’Echenay que quelques mois en 1791. Ex Vicaire de Villiers aux Chênes et de Doulevant (52) où il fut nommé après son ordination, il ne fut sans doute jamais vraiment reconnu par la population épinceloise. D’après le registre paroissial, il n’administra que 6 sacrements durant cette période (le 1er le 11 mai, le dernier le 22 août). Dès le 1er novembre, il a quitté la paroisse. Pourtant, il faut enterrer Christophe Cordieu, manouvrier, et l’on fait appel à « Dominique Demange, curé de Saudron, faisant desserte de ladite paroisse d’Echenay à cause de la vacance de la cure ».
Jeanson fut muté à Vignory (52). Son successeur au village fut un nommé Longalaine qui exerça à Echenay de décembre 91 à 1793. Ce dernier avait prêté serment le 4 décembre 1791 à Echenay (cf registre paroissial).
Jeanson, lui, remplaça à Vignory Louis Félix Roux, curé qui avait été nommé là-bas en 1786. Roux avait adhéré à la Révolution et à la Constitution civile du clergé, ce qui lui permit en 1791 d'être nommé vicaire épiscopal de la Haute-Marne. En septembre 1792, Roux est élu député de la Haute-Marne à la Convention nationale. Il fut ainsi un des rédacteurs de la Constitution de 1793. Il eut un parcours révolutionnaire agité et trouble et se défroquera au cours d’une mission pour épouser la fille d'un marchand de Laon en janvier 1794. La Seconde Restauration le bannit du royaume comme régicide en janvier 1816. En mars de cette année, il quitte la France et s'installe à Huy en Belgique où il meurt un an plus tard à l'âge de 64 ans.
Quant aux gardes nationaux blessés, Il leur faudra plusieurs jours de lit pour se remettre de cette sévère correction… On trouve trace d’un Jean Cordier marié à Echenay le 17 février 1756 à Marie George mais est-ce le Garde National de notre histoire ?... Il ne semble pas que cette famille est fait souche à Echenay.
Le nommé Briquotte, commandant de la Garde Nationale d’Echenay, qui signe et adresse le procès-verbal le 10 mai 1791 à l’Assemblée Nationale Constituante de Paris est certainement l’associé d’Harmand, le maitre de forge d’Echenay et fidèle employé du châtelain de Pimodan.
La réaction des Epincelois fût-elle représentative de situations similaires ailleurs dans le Vallage à l’arrivée de prêtres assermentés ? Impossible à dire…
Toutefois, si les premiers écrits du XIXème siècle sur le sujet semblent aller dans le sens d’un important rejet du serment par les ecclésiastiques hauts-marnais entrainant derrière eux leurs fidèles, il s’avéra ensuite que cette assertion était erronée. Il existe aux Archives Nationales une liste nominative des ecclésiastiques de Haute-Marne qui ont prêtés ou qui ont refusé le serment prescrit par la loi du 27 novembre 1790. Elle fut envoyée par le Directoire de la Haute-Marne le 17 mai 91 et un état complémentaire suivit le 27. (Cote D XIX, 22, Dossier 344)
Ainsi, dans le district de Joinville qui comptait 75 prêtres, un décompte basé sur ce document relève 70 serments sans restriction, 4 avec et un seul refus.
Je remercie sincèrement Pierre Valéry Cyrille Archassal pour son aide précieuse et les photographies du dossier aux Archives Nationales.
Sources :
Archives Nationales Paris - dossier 243 pièces n°9 et 10 conservées sous la cote D/XXIXbis/22.
Le diocèse de Langres : histoire et statistique, Volume 2 – Par l’abbé Roussel – Langres 1875
Mémoires de la Société des Lettres de Saint-Dizier – Tome IX – troisième fascicule – St Dizier 1905
AD52
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