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Découvrez l'histoire d'Echenay, petit village de Haute-Marne !

Ce blog retrace la petite et la grande histoire d'Echenay Haute-Marne sous forme de petits articles, au fil de mes recherches et découvertes généalogiques.

FAMILLE BRULFERT - CIMETIÈRE D'ECHENAY

Publié le 16 Juillet 2018 par Petite et Grande Histoire d'Echenay in Le cimetière d'Echenay

FAMILLE BRULFERT - CIMETIÈRE D'ECHENAY

Joseph Horace Albert Adéodat BRULFERT (l’ordre des prénoms varie parfois suivant les sources) a vu le jour le 13 septembre 1841 à Saint Denis les Rebais (Seine & Marne), fils de Noël Joseph Brulfert et de Françoise Alexandrine Brulfert (même patronyme).  Pour l’anecdote généalogique, Noël et Françoise sont cousins germains. Son père deviendra maire de St Denis les Rebais deux ans plus tard (1843) et exercera ses mandats jusque vers 1855.

Le recensement de Saint Denis de 1846 nous apprend qu’il est le 4eme enfant du couple formé par Noël Joseph et Françoise Brulfert puisque l’ont précédé Joséphine Alexandrine, Alphonsine Désirée et Alexis Louis. Mais il aura également un petit frère, Aristide Socrate, de 3 ans son cadet. Et puis une généalogie trouvée sur Généanet ajoute Léonidas Auguste Homère Edmond Léopold et Angèle Maria à la fratrie.

Si je ne sais rien de son enfance, Joseph fut néanmoins certainement un enfant studieux puisque ses études le mèneront vers un doctorat de médecine. Son curieux prénom d’origine latine, Adéodat, qui signifie « donné par Dieu », aura-t-il joué un rôle dans son parcours ?...

Par faute de lieu de résidence au moment de l’appel sous les drapeaux et de disponibilité en ligne, je n’ai pas pu retrouver sa fiche Matricule qui renseignerait sur la décennie 1860/1870.

C’est le 3 novembre 1872 (il a donc 31 ans) qu’il présente et soutient sa thèse de doctorat sur un thème qui, s’il semble bien éloigné de la médecine (d’ailleurs il s’en excuse !), lui assurera une renommée internationale.

« Origine et disparition de la race polynésienne », tel est le titre qu’il choisit.

FAMILLE BRULFERT - CIMETIÈRE D'ECHENAY

Cette thèse, il la dédit, dans l’ordre, à ses frères et sœurs, à ses parents et à ses amis. Il n’oublie naturellement pas son président de thèse, le professeur Paul Pierre BROCA, alors éminent médecin, anatomiste et anthropologue français très renommé, professeur de clinique chirurgicale à la faculté de médecine de Paris, chirurgien de l’hôpital des Cliniques, membre de l’Académie de médecine du même lieu et Chevalier de la légion d’honneur.

Dans la décennie qui suit, cette thèse connaitra un fort retentissement en France et à l’étranger.

 Il faut dire que l’époque s’y prête bien. Après les premières descriptions assez « exotiques » des grandes découvertes géographiques de l’océan Pacifique (Tahiti n’a été découvert qu’en 1767, soit 100 ans plus tôt !), on est maintenant friand d’analyses plus scientifiques ! Et puis, en ce milieu du XIXeme, les ambitions coloniales sont maintenant avérées et mises en œuvre… Les « nègres, les sauvages et autres races inférieures » mobilisent l’attention des scientifiques et du grand public dans des publications ou articles de presse qui mèneraient aujourd’hui tout droit au tribunal du fait des termes employés mais que l’esprit de l’époque, tourné vers ces terres lointaines, adore. N’a-t-on pas découvert l’Eden, la « Nouvelle Cythère » ?...

Et dans cette région bénie où il suffit de se baisser pour se nourrir, d’où peuvent bien venir ces « sauvages » ? C’est la question que Joseph Brulfert se pose !

A l’époque, 3 opinions s’affrontent ! Certains prétendent qu’ils sont venus d’Amérique du Sud, d’autres d’Asie du Sud-Est. Joseph choisira, à l’instar de quelques autres, une autre option ! Les îles du Pacifique ne sont pour lui que les sommets émergés d’un continent océanique englouti !...

La première partie de sa thèse (21 pages sur 32) disserte sur ces origines possibles. S’il s’emploie à démonter les autres hypothèses (toujours respectueusement), sa position s’appuie sur l’observation des courants marins et des vents, les traditions locales orales, les embarcations utilisées depuis toujours par les habitants des îles, etc… qui d’après lui réfutent catégoriquement ces autres possibilités.

La deuxième partie (10 pages) évoque plutôt les affections des iliens (endémiques et/ou épidémiques) en en dressant la liste (tuberculose, phtisie, éléphantiasis, etc…) mais en se bornant à en faire le constat, sans parler de traitements comme on pourrait s’y attendre de la part d’un médecin. Il insiste néanmoins sur les maux apportés par les étrangers, en particulier l’alcoolisme, la corruption des mœurs, … qui pourrait expliquer la baisse inquiétante de la population. On sent bien néanmoins le côté « social » du médecin que l’on retrouvera plus tard fortement affirmée.

 Mais me direz-vous, comment a-t-il acquis cette expertise des peuples polynésiens ?...

L'Astrée et la Sibylle au mouillage de Papeete - Au premier plan, le palais de la reine Pomare - 1870

L'Astrée et la Sibylle au mouillage de Papeete - Au premier plan, le palais de la reine Pomare - 1870

Ce sont les recueils des « Archives de la Médecine Navale » qui nous donnent la réponse. En août 1868, Joseph est cité, en provenance de Rochefort (17), pour un départ imminent vers l’Océanie à bord de différents bateaux. Il est alors aide-médecin auxiliaire et sans doute commence-t-il son ascension pour devenir plus tard chirurgien de marine.

Si l’on admet qu’un voyage à la voile dure environ 4 à 5 mois vers 1870 entre la Polynésie et la métropole (voir par exemple le rapatriement de Louis Sylvestre Morio en 1870), c’est donc vraisemblablement vers le début de 1869 que Joseph arrive à Taïti (comme orthographié dans la thèse). Pour cela, il a emprunté « la Poursuivante », « la Sibylle » et prend son poste sur « Le Chevert ».

Frégate La Sibylle à Papeete 1869

Frégate La Sibylle à Papeete 1869

 Il indique dans sa thèse qu’il a passé 2 ans à Taïti et qu’à cette occasion, il a franchi 6 fois durant cette période la ligne entre le 135° et le 150° méridien. Sa présence est par ailleurs attestée aux iles Gambier où, chirurgien de 3eme classe, il témoigne à un procès (Source : Les iles Gambier par Jean Paul Chopard – Brest - imprimerie de J. B. Lefournier ainé - 86, grand'rue – 1871).

Ce séjour dans le Pacifique le marquera profondément.

Revenu certainement en métropole fin 1871/début 72 et rendu à la vie civile, Joseph s’installe 22 cours des petites écuries à Paris Xe. C’est là qu’il rencontre Marie Gabrielle Hurlier. La demoiselle est originaire de Ronceux (Vosges) près de Neufchâteau où elle est née le 21 août 1848. Elle est la fille de François Sylvestre Hurlier, négociant, et de Aimée Justine Garnier. Plus tard, la famille Hurlier/Garnier s’installera à Echenay où Marie Gabrielle passera une partie de sa jeunesse.

Curieusement, à l’époque où Joseph rencontre Marie Gabrielle, celle-ci vit avec sa mère à Paris, 11 cours des petites écuries, son père étant resté à Echenay. Ainsi, dès 1866, ses parents semblent séparés, le recensement de cette même année indiquant que son père vit à Echenay avec sa propre mère en compagnie de Marie Gabrielle et d’une domestique, Amélie Gérard. 

Joseph et Marie Gabrielle sont donc voisins et l’on peut imaginer qu’ils se croisent quotidiennement dans cette petite rue si typique comme Paris en regorge.

Le 20 novembre 1873, ils s’unissent à la mairie du 10eme arrondissement. Un contrat de mariage est déposé chez Maître COTTIN, notaire à Paris, le 15 courant.

A compter de cette période, Joseph consacrera sa vie professionnelle à l’exercice de la médecine. Côté vie privée, l’année 1877 voit la naissance d’une fille, Marthe Thérèse.

Joseph a une idée très noble de la médecine. Si celle-ci soigne les corps, il veut aussi accompagner la vie des familles les plus démunies. C’est dorénavant pour les pauvres et les indigents qu’il veut œuvrer. En 1877 et après un rapport favorable de Paul Delasiauve, médecin en charge des bureaux de bienfaisance parisiens, Joseph est admis comme médecin titulaire d’un bureau de bienfaisance.

Mais son engagement ne s’arrête pas là. En 1880, il est aussi « médecin de l’état civil » (de la 1ere circonscription du Xe arr) que d’autres appellent le « médecin des morts ».

« Médecin des morts : l’expression peut paraître surprenante, sinon absurde ; elle est pourtant celle qu’emploie la population parisienne pour désigner une catégorie de médecins attachée à la vérification des décès dans la capitale à partir de 1800. Cette fonction, inédite et presque unique en France pendant une grande partie du xixe siècle, répond à une nécessité, aujourd’hui oubliée : celle de s’assurer de la réalité des décès et éviter ainsi les inhumations prématurées. Elle constitue un des aspects de la médecine salariée qui se développe au XIXe siècle, autour de l’hygiène publique et de la police médicale. » (Source : hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01526588/document).

Il interviendra sur un périmètre compris entre la rue Poissonnière et la rue du Faubourg St Denis (Source : Recueil des actes administratifs du département de la Seine N°31- 1880),  puis démissionnera de son poste en 1883, vraisemblablement pour la raison que nous allons découvrir maintenant.

En juillet de cette même année, il se présente, sur les instances de plusieurs de ses amis, à l’élection de conseiller-général du canton de St Denis Les Rebais en tant que Républicain. Il y fait face à Léon Chazal, conseiller général sortant et à Mrs Collette de Beaudicourt et Spié. Son programme ? En affaires, augmenter, terminer, améliorer les voies de communication, presser l’exécution du chemin de fer projeté, et enfin demander le dégrèvement de l’agriculture ; En politique, aider au développement de la république progressive. Bien que natif du pays, chose sur laquelle il insiste durant sa campagne, il ne passera pas le premier tour et se désistera pour Mr Spié (qui ne sera pas élu).

Mais l’homme est tenace ! Après son échec en Seine et Marne, il présente quelques années plus tard sa candidature au Conseil General de Haute-Marne d’où son épouse est (presque) originaire et où, à la surprise de plusieurs de ses adversaires mieux implantés que lui, il est élu en 1886 comme représentant du canton de Poissons (52) dont dépend Echenay. Il précède donc de quelques années Gabriel de Pimodan, autre Epincelois célèbre dans cette fonction.

Dès lors, il est probable que la famille Brulfert / Hurlier partage son temps entre la capitale (rue d’Hauteville) et Echenay comme semble le démontrer le recensement de cette même année. On peut noter qu’il n’y a pas de domestique à leur service.

Fidèle à son engagement, notre conseiller général du canton de Poissons dépose en août 1888, la requête qui suit lors de l’assemblée du CG et qui illustre bien la misère des campagnes de Haute-Marne pourtant alors assez riche comparée à d’autres régions françaises.

 

Source: Rapports et procès-verbaux des séances du Conseil général de la Haute-Marne - Août 1888

Source: Rapports et procès-verbaux des séances du Conseil général de la Haute-Marne - Août 1888

Joseph poursuit donc en Haute-Marne son projet d’aider et de soulager les plus démunis de ses concitoyens.  

Mais le 24 février 1890, en pleine fleur de l’âge, Joseph s’éteint… Il n’est âgé que de 48 ans. Voici ce qu’en disent les journaux.

FAMILLE BRULFERT - CIMETIÈRE D'ECHENAY

Il laisse donc une veuve et une orpheline de 14 ans. Les lois de l’époque obligeront à un conseil de famille où le père de Joseph (donc le grand-père de Marthe) sera nommé subrogé-tuteur de Marthe-Thérèse.

Cette succession est pour nous l’occasion de connaitre le patrimoine du couple sur Echenay et les communes avoisinantes.  Ce ne sont pas moins de 218 hectares environ, dont 177 de forêts et une maison et ses dépendances, qui seront vendus aux enchères en 7 lots (la vente en comprenant 8, le 8eme se situant en Seine & Marne) ! Cela place certainement Joseph Brulfert parmi les 2 ou 3 plus grands propriétaires terriens de la commune avec Gabriel de Pimodan, châtelain du village. Mise à prix du total : 155 000 francs, somme considérable pour l’époque. Et combien a-t-elle rapporté ?... (Source : Journal « L’Eclaireur de l’arrondissement de Coulommiers » du 11 mars 1891)

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Je dois dire que je me suis posé une question à son sujet, question qui restera sans réponse :

Et si cet engagement au service des plus démunis en France n’était que le résultat d’une prise de conscience faite lors de son séjour à Taïti, cet éden terrestre corrompu par l’homme blanc sous prétexte de progrès comme il le dit à demi-mots ?...

Mais après tout, peu importe les motivations profondes, l’œuvre qu’il a réalisée reste et ces quelques mots !...

« J’ai vécu dans ces pays de soleil et de lumière, j’ai causé à l’ombre des orangers avec leurs habitants, j’ai couru dans ces vallées semées de pommes d’or, citrons, limons, goyaves, évis, oranges, j’ai entendu le bruit de ces cascades, tantôt pluie douce et fine dont les eaux s’émiettent en mille et mille prismes étincelants, tantôt roulent avec fracas des éclats de rochers, des colonnes de granit, des arbres (vai mato), eaux terribles ! J’ai vu l’Indien, chargé de poids énormes courir en riant, sur ces montagnes à pic, dont chaque flanc domine un abyme. J’ai vu la jeunesse insouciante, couronnée de miri [basilic) et de tiare [gardénia), danser et chanter, folle et légère, devant nous, les maîtres ; je l'ai vue aussi, hélas ! chercher dans nos liqueurs, absinthe et bière surtout, une ivresse dégoutante que l'eau-de-vie d’orange ne procure pas assez vite. J’ai vu, les jours de payement des contributions, les hommes et les femmes venir là, au grand marché, chercher l’argent que notre sottise leur demande.

J’ai vu le mari exposer sa femme, j’ai vu ce peuple tombé avant d’avoir été élevé, cet enfant qui ne sera jamais homme ! Pensif sur le chemin, j’ai vu la race polynésienne descendre, vêtue de fleurs, dans la tombe, et je me suis dit : à ce pauvre peuple, j’apporterai un souvenir, à ces nations condamnées, un serrement de main, à ce pauvre moribond, une larme... » [ ]

« On prétend avoir amené des habitudes hygiéniques dans ces pays. Je demande lesquelles ? [ ] Le Polynésien est chez lui. Il a toujours le même ciel, le même soleil, la même nourriture, les mêmes usages, et il meurt. Laissez le nègre au Sénégal, au Congo, au Mozambique et il vivra ; laissez l’indien (d’Amérique) dans ses territoires de chasse et il vivra ; laissez le Polynésien chez lui, avec ses arbres, sa pêche, sa case, sa femme, ses fetii, il meurt et il mourra. »  

 

Triste constat d’impuissance et de rage à peine voilée qui induira peut-être encore plus son dévouement en France !...

 

FAMILLE BRULFERT - CIMETIÈRE D'ECHENAY
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