J'ai dans ma chambre, à la campagne,
Sur les marches de la Champagne,
Deux beaux portraits aux cadres d'or.
Claude porte une large fraise,
Christophe un grand col Louis treize ;
Parfois ils semblent vivre encor.
Sous leurs tempes le sang circule,
Quand la lueur du crépuscule
Met une auréole à leurs fronts,
Et dans la pièce déjà sombre
Ils paraissent sortir de l'ombre :
J'entends sonner leurs éperons.
Christophe frise sa moustache
D'un air vainqueur, Claude rattache
L'ordre du Roy sur son pourpoint :
Tous deux saisissent leurs épées
Nobles lames de sang trempées,
Mais je ne les regarde point.
Je crains toujours qu'on ne me dise :
— Tout cela, c'est de la bêtise !
Cesse d'écrire, mon garçon.
Il faut être fou, sur mon âme,
Pour mettre son cœur et sa flamme
A rimailler une chanson !
Je répondrais bien : — Chers ancêtres,
Autrefois vous parliez en maîtres,
Et vous amusiez autrement !
Les temps changent ! Le monde roule !
Mais sachant qu'il est une boule
J'en ai fort peu d'étonnement.
Vous courtisiez les renommées,
Comme brigadier des armées
Du Roy, lieutenant général
Evêque, ambassadeur... que sais-je!
Si vous le permettez, j'abrège,
Moi, je suis un simple rural !
Mais je me tais. Chacun me semble
Si hautain, quand je le contemple,
Que je n'ose trop m'approcher ;
Et quoiqu'en rimant je les raille,
Ils resteront à ma muraille...
J'ose encor moins les décrocher !
Source : Le Coffret de Perles noires – Poésies de PIMODAN - Librairie Vannier – Paris 1899