En 1898, Gabriel de Pimodan décide de faire ce que nous appellerions aujourd’hui la « promotion » de son recueil de poèmes intitulé « Lyres et Clairons, le coffret de perles noires ». L’ouvrage parait en 1899 à Paris chez Léon Vanier, éditeur 19 Quai Saint Michel.
A l’époque, pas d’émissions littéraires ! On imagine alors l’ouvrage adressé à divers destinataires qui auront le privilège de le lire en avant-première et, pourquoi pas, d’en faire une critique flatteuse.
Parmi les destinataires se trouve le « Spectateur Catholique », périodique tourné vers les choses religieuses et qui dispose de bureaux à Paris et à Bruxelles. Puisque la revue se qualifie elle-même de « Mensuel de Science, d’Art et de Jugement religieux », on espère sans doute (lui ou son éditeur) trouver là une résonnance favorable.
Ce dernier arrive ainsi sur le bureau de F. NONNIGER. Mais, comme l’indique son préambule, « Le Spectateur Catholique laisse à ses rédacteurs liberté de tout style, et, avec l’honneur de leur responsabilité, liberté de toute pensée, en les limites de l’orthodoxie définie ou traditionnelle. » Aie !...
Au livre est jointe la carte de visite de Gabriel de Pimodan ! Erreur fatale!!!...
F. NONNIGER, en place de critique littéraire, écrit alors :
Poésies de Pimodan : lyres et clairons, le coffret de perles noires. Illustrations de Henry Baudot. (Paris : Léon Vanier).
« J’ai lu jusqu’au bout, à défaut du livre, la carte de visite de l’auteur. Et déjà c’est assez long : « Le Marquis de Pimodan, Duc de Rarécourt, Conseiller Général de la Haute-Marne, Maire d ’Echénay. »
« Quand... les conseils généraux de département, les conseils municipaux de village, les élections, les moissons, les vendanges, les semailles, me laissent deux mois seul et libre dans cette chère masure de Saint Point.., ma vie de poète recommence pour quelques jours. Vous savez mieux que personne qu’elle n’a jamais été qu’un douzième tout au plus de ma vie réelle ... »
Vous croyez que je cite le châtelain d’Echénay, que non, c’est de Lamartine. Mais servie par une adaptation aussi traîtresse des termes, l’humilité du poète n’est pas sans être humiliante pour le versificateur.
Plutôt non : pourquoi faire du mal ? Disons - et c’est vrai - de ces Poésies de Pimodan, que parmi les poètes estimés, Mr Coppée en écrivit d’aussi mauvaises et le R.P. Delaporte point de meilleures.
Pour gouverne signalons que le volume contient une photographie du manoir d’Echénay, efficace à inculquer au docile critique le goût d’y avoir son numéro pendant la saison des chasses...
Fenêtre sur la rivière, si on peut choisir... »
Voilà, la critique est tombée, piquante à souhait ! Nonniger aurait-il une dent contre les nobles ou les politiciens ? La seule carte de visite aurait-elle suffit à déchainer cette diatribe ?... L’opinion donnée me semble faire preuve de bien peu de tolérance pour un rédacteur de magazine chrétien. Les poèmes du châtelain sont-ils si mauvais ?... Les a-t-il lu ?...
Parmi eux, un a retenu mon attention. Je ne suis pas expert en poésie mais il me plait bien !
Il s’intitule « Coupe de bois » et il est dédié « A mon garde… qui ne le lira pas »…
Vous allez tomber, mes vieux hêtres,
Plus blessés que d'illustres reîtres,
Mais conservant un air vainqueur,
Comme au retour des longues guerres
Les vaillants soldats de naguères
N'ayant rien d'entier, sauf le cœur
Vous allez tomber, pauvres ormes,
Avec vos feuillages énormes
Où chantait un peuple d'oiseaux ;
Vous allez tomber, mes grands frênes,
Mes aulnelles immenses, reines
En robe verte au bord des eaux.
Et vous surtout, chênes sublimes,
Qui rêvez, orgueilleuses cimes,
Seuls forts en ce siècle alangui !
Nobles chênes, où les prêtresses,
Les Gauloises aux blondes tresses,
Auraient jadis coupé le gui.
La forêt, pleine de mystère,
Conservait l'âme de la terre,
Le dieu Pan, sous ses frondaisons,
Le chèvre-pied, force féconde,
Dont le rut emplissait le monde
Et fécondait les horizons.
O Maître adoré du poète,
Du pâle rêveur, dont la tête
S'incline sous le poids des vers ;
Dieu des rimes, des harmonies,
Qui fus chanté par les génies
Et n'es plus rien dans l'univers !
Près de toi, les Hamadryades,
Les Faunes moqueurs, les Naïades,
Dansaient à l'ombre du grand bois,
Et, faisant craquer ton suaire,
Tu retrouvais le sanctuaire
Où l'on t'adorait autrefois.
De nouveau, tu vas disparaître.
Hélas ! et moi, ton dernier prêtre,
Je livre le temple aux mortels ;
Moi qui, dans le fond de mon âme,
Seul, peut-être, gardais ta flamme
Et seul honorais tes autels !
Tu vas mourir sous la cognée,
Avec la futaie indignée
Et les nymphes de la forêt.
Et je pleure, en lisant ce livre,
D'avoir, honteux, vendu pour vivre,
Le divin Pan, qui m'inspirait !
A cette époque, le garde en question s’appelle Nicolas WITTMER et il a 50 ans. Il décédera quelques années plus tard, en 1905. Pourquoi PIMDAN affirme-t-il que Nicolas WITTMER n’a pas lu ce poème ? Le fils « d’émigrés » Alsaciens savait au moins signer et son emploi chez le marquis lui donnait sans doute accès à ce livre. Mais ne faisons pas un second procès au Marquis !
Il ne me semble pas surprenant que Gabriel de Pimodan ait écrit un poème dédié à un de ses employés. J’y vois une preuve d’attachement à ses administrés. Il avait déjà précédemment écrit un poème sur le facteur d’Echenay, Henri Rouge.
Le 27 mai 1888, les cloches sonnent joyeusement. Jules Henri Rouge, 29ans et facteur rural, marie la belle Marie Julie Legrand, 22 ans à l'église Saint-Martin d'Echenay. Le 17 juin 1889, les cloches
http://echenay.over-blog.com/article-henri-rouge-facteur-rural-a-echenay-1888-1889-125259541.html
Cliquez ci dessus pour connaitre l'histoire d'Henri Rouge
Le terroir, la campagne autour du village, les gens du pays l’inspiraient. D’ailleurs, quelle chance pour moi, qui m’autoproclame historien d’Echenay, puisqu’il me donne matière à écrire !
Et j’ajouterai le fait que si le garde en question fut le frère de mon arrière-grand-père, cela ne change rien à mon jugement !!! lol
Sources :
AD52
Digithèque de l’Université Libre de Bruxelles
Le Spectateur catholique, tome IV, Bruxelles ; Paris, Juillet 1898 – Décembre 1898 (n°19-24).